Erik Dumon :Je suis simplement réaliste. La rentrée va être compliquée, très compliquée. Le climat sera toujours anxiogène et il n’y aura pas de «miracle économique» pour sauver la profession. L’Oréal aurait publié récemment des chiffres prévoyant que 25% des salons de coiffures indépendants étaient condamnés à disparaître avant la fin de l’année. A mon petit niveau, en constatant ce qui se passe dans ma région, cela me semble une prédiction proche de la réalité.
A quoi attribuez-vous ce phénomène ?
D’une part, notre profession était déjà sinistrée depuis plusieurs années. La pandémie n’a fait que mettre en lumière la fragilité de ce métier ! Mais une chose est claire : le coiffeur qui retourne aujourd’hui dans son salon et ne change rien à ses habitudes, est condamné à court ou moyen terme.
J’ai des exemples autour de moi : des coiffeurs sont retournés travailler, comme s’ils rentraient de vacances après le confinement. Ils n’ont pas mis à profit cet arrêt forcé pour réfléchir à de nouvelles façons de travailler, ils n’ont pas réorganisé leur salon, ils se sont contentés de nettoyer vite fait le local et ils ont attendu le client. Alors forcément, après le rush des premiers jours, ils se sont retrouvés épuisés et sans clients.
Il y avait pourtant de la demande…
Oui, mais ils n’ont pas su la gérer. C’est particulièrement vrai pour la coiffure femme. Certaines clientes ont pris de nouvelles habitudes pendant le confinement, comme celle de teindre elles-mêmes leurs cheveux, avec plus ou moins de succès. Certaines ont pris la décision de revenir à leur couleur naturelle, et elles sont revenues pour uniformiser le résultat : celles-ci ne reviendront pas à la coloration avant un bon moment.
Mais les nouvelles habitudes de la clientèle justifient-elles la disparition d’un quart de la profession ?
Je vais paraître brutal, mais tant pis ! Ceux qui disparaîtront seront ceux qui n’auront pas changé d’un iota leur façon de travailler. Plus personne ne travaillera comme avant. Le confinement nous a démontré que l’on pouvait confiner du jour au lendemain la quasi-totalité de la population, et arrêter en partie l’économie sans provoquer de révolution, malgré les dommages collatéraux sur des petits commerces de proximité.
Comment imaginer une seconde qu’en septembre, tout sera revenu à la normale ? Ce serait de l’ordre du miracle. Et j’entends tout le monde parler de partir en vacances… Les salariés, peut-être, mais franchement, les indépendants et les gérants de petits salons, vous pensez qu’ils ont les moyens de prendre des vacances après plus de deux mois de chiffre d’affaires en moins ? La rentrée risque d’être rude, très rude et sur tous les plans ! Et les coiffeurs sont en première ligne, puisqu’ils dépendent de la fidélité de leur clientèle.
Vous parlez de réinventer votre profession. Mais comment traduire cela pratiquement ?
Il y a un élément important à exploiter en ce moment : la nouvelle attention que portent les clients à leur coiffeur. Certains coiffeurs savent parfaitement exploiter ce préjugé favorable ! Et comme par hasard, ce sont ceux qui avant la pandémie avaient déjà changé leur façon de travailler.
Je veux parler des salons hommes et des barbiers. Il y a encore dix ans, un salon homme - et ne parlons pas des barbiers - était connoté comme ringard et dépassé. Il faut saluer le dynamisme de ceux qui se sont lancés sur ce créneau après une vraie réflexion. Même si un homme dépense moins qu’une femme lors d’un rendez-vous chez son coiffeur, il revient plus souvent, en moyenne une fois par mois.
Faites le calcul : cela revient à douze visites par an. Une femme revient, en moyenne, de cinq à six fois dans l’année. Un homme rapporte donc autant qu’une femme. Et surtout, le client homme n’est pas zappeur. Une fois qu’il a ses habitudes, il en faut beaucoup pour qu’il change de coiffeur ! A l’inverse des femmes, plus infidèles par nature.
Sans compter que l’homme conseillera vos services à ses amis, alors que la femme gardera jalousement «son» coiffeur et ne le recommandera pas.
Mais vous ne pouvez pas demander aux salons femmes de se reconvertir d’un coup…
Non. Mais rien n’empêche un salon féminin d’ouvrir un corner homme. Je vais vous donner un exemple. J’habite dans une commune de 3 500 habitants, où cohabitent cinq salons de coiffure féminins. Si je devais ouvrir un salon, j’ouvrirais un barber shop et je raflerais toute la clientèle masculine !
Au lieu de cela, je sais qu’il existe un projet d’ouverture de salon uniquement consacré au relooking…femme. Un tout petit segment, qui va se retrouver en concurrence directe avec les cinq autres salons du lieu. Et il ne s’agit pas de copier le concept et d’abandonner la clientèle féminine, mais de s’inspirer de la stratégie.
Savoir entretenir sa clientèle tout au long de l’année est l’une des clés. Pour parvenir à une rotation régulière, il faut aussi savoir la gérer. C’est là que la consultation préalable prend toute son importance. Vous pouvez ainsi la conseiller, tant au niveau de la coupe et de la couleur.
Pour suivre le magazine PBE : https://professionbienetre.com/actualites/coiffure-blog/9790-erik-dumont-septembre-va-marquer-un-reveil-rude-pour-les-coiffeurs